la tribu des pingouins

Borealis

Au début des années 1990, la Tribu des Pingouins se lance dans l’organisation de différentes raves et festivals dans le sud de la France.

Cette quinzaine de jeunes passionnés de house et de techno, à peine sortis du lycée, imagine des fêtes colorées et hédonistes, attirant chaque année un peu plus de monde. Mais le sort et les éléments finiront par s’abattre sur eux pour finalement avoir raison de l’évènement.

Trois membres du collectif se remémorent ces nuits inoubliables, année par année.

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5 Août 1993

« Cette première édition de Boréalis se déroulait au New York, une discothèque de Pézenas », raconte William Recolin (William Recolin a monté et tenu la boutique Pinguins Records, un des premiers disquaires électroniques en France.)

Son activisme allait aussi des platines, sous l’alias DJ Willy, à la création de labels — Pinguins Music, Extraball, Kobayashi, Humungus — en passant par la production de musique. Il travaille désormais dans l’informatique..

« Nous l’avions aménagée avec un dancefloor et une salle chill-out à l’intérieur et une scène extérieure, hardcore, sur le parking. C’est là que Liza N’Eliaz a joué. A cette époque, elle était un grand nom de la scène hardcore. Je l’avais vue à la rave Nostromo à Paris, et nous, Les Pingouins, l’avions déjà fait venir pour notre toute première soirée, la Neurorave, à Montpellier.

Le soir de Boréalis, Liza N’Eliaz a livré un mix endiablé, très travaillé. Elle avait une façon toute particulière de mixer, en amenant lentement les morceaux. C’était hardcore mais avec des transitions toutes en longueur, intelligentes. Elle racontait une histoire sur la durée d’un set. Le live de Juan Trip et le DJ set au lever du soleil de Jack de Marseille ont été d’autres grands moments de cette première Boréalis où il y avait plus de 2 000 personnes. »

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13 Août 1994

« J’habitais à Londres à l’époque », se souvient Bruno Catala (Londonien d’adoption, logé chez Steve Hillage de System 7, Bruno Catala a sorti plusieurs maxis sous les pseudos Jack Of Swords et Mothra sur les labels Sabres Of Paradise et Sabrettes d’Andrew Weatherall. Il est maintenant professeur de méditation.. ).

« Au réveillon du jour de l’an 1993, j’avais vu Orbital lors de la rave organisée par le collectif Megadog. C’était un très bon live, un peu trance, planant. Nous avons décidé de les booker pour la première édition de Boréalis aux arènes de Nîmes. »

Les Pingouins auront toujours cette connexion avec l’Angleterre et programmeront par la suite The Orb, System 7 ou The Chemical Brothers. « Entre-temps, Orbital se retrouve à l’affiche de Woodstock 94, le festival monté pour célébrer les 25 ans du rassemblement hippie. » La date dans la campagne new-yorkaise a lieu la veille de Boréalis.

Pour assurer ces deux shows, les frères Hartnoll se retrouvent à voyager en Concorde pour rallier New York à Paris. Puis en jet privé pour arriver jusqu’à Nîmes. Une situation plutôt cocasse pour ces deux « crusties » habitués à la boue et au froid des raves anglaises.

« Nous avons même dû faire ouvrir l’aéroport spécialement et nous sommes allés les chercher directement sur le tarmac. » La suite est tout autant rocambolesque. Complètement jet-laggé et bien entamé à la bière, le duo est introuvable jusque dans les dernières minutes avant leur show. Puis, finalement, en plein live, les deux frères demandent une bouteille en plastique à l’un des organisateurs. Un coup de machine à fumée leur permettra de se soulager, sur scène.

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12 Août 1995

« Pour cette seconde édition aux arènes de Nîmes, nous avions monté une scène centrale. Une sorte de grande araignée de métal qui avait nécessité une semaine d’installation », décrit Clément Vaché (Après la période Pingouins où il officiait aux platines sous le pseudo DJ Citru, Clément Vaché a été disquaire à Paris – les boutiques Da Groove et Da Phonics – et a monté le groupe Aswefall. Il s’occupe aujourd’hui de la direction musicale de la boutique Colette..).

« Cela contrastait avec ce lieu atypique, ces arènes antiques, romaines, qui accueillent habituellement des corridas. » Cette nuit-là, Underworld a donné son premier concert en France, « un show hallucinant », et Jeff Mills, « maestro des platines », a clôturé la soirée.

Mais le Pingouin Clément se souvient surtout du show de The Orb : « C’était magique et magistral ! Ils ont joué au cœur de la nuit, un live très ambient, à contre-courant de l’esprit dancefloor. »

« Dans les soirées Boréalis, nous avons toujours voulu présenter ce côté musical de l’électronique. Programmer ce live, à cette heure-là de la nuit, était une prise de risque mais ce spectacle était démentiel. Surtout dans cette infrastructure scénique. Avec les membres de The Orb au centre, comme des gourous. »

Le public répond présent : 11 000 personnes comblent les arènes et 2 000 personnes sans ticket squattent dehors. Certains, prêts à tout, grimpent même les immenses grilles pointues pour s’incruster à la fête.

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24 Février 1996

« Les arènes de Nîmes se sont révélées trop petites pour Boréalis », se remémore William Recolin. « De toute façon, avec les débordements de l’édition 1995, le mairie ne voulait plus nous accueillir. Comme nous n’avions pas de possibilités pour un festival d’été, nous imaginons un événement d’hiver dans une salle. » Ce sera Polaris, à la Halle Tony Garnier à Lyon.

L’affiche était très belle avec The Prodigy, Carl Cox, DJ Hell, Charlie Hall, Miss Djax, Mike Dearbon.

Mais la soirée n’aura pas lieu : « Sous la pression du syndicat local des discothèques, le maire de l’époque, Raymond Barre, n’autorise la soirée que jusqu’à 1h du matin… Nous sommes obligés d’annuler. »

Face à cette répression anti-techno, encore très courante à l’époque, la résistance s’organise. Les Pingouins reçoivent les soutiens de nombreux artistes et organisateurs. Cet élan se transforme par la création de l’association Technopol, dont Josselin Hirsch, des Pingouins, devient le premier président.

En 1998, Technopol, désormais basée à Paris, lance sa première Techno Parade et l’association travaille toujours aujourd’hui à la défense et à la reconnaissance des cultures électroniques.

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9 Août 1997

« Le set magistral de Laurent Garnier a été un moment particulièrement fort de cette première édition de Boréalis à Montpellier », raconte Clément Vaché.

« Il a joué au lever du soleil, de 6h00 à 8h00 du matin. Les autres scènes étaient éteintes donc tout le monde avait convergé vers cette scène principale où Daft Punk et The Chemical Brothers avaient joué pendant la nuit. Il y avait ce matin-là une belle communion entre le DJ et les danseurs. Surtout quand Garnier a joué le maxi « World 2 World » d’Underground Resistance.

Toute l’équipe était sur scène pour célébrer ce moment magique. Nous étions fiers de cette édition et de ce line-up où il y avait aussi Andrew Weatherall, Darren Emerson, Autechre, Planetary Assault Systems et Slam. Surtout, ce Boréalis arrivait après 1996, une année catastrophique (annulation de Polaris, pas de festival d’été) et nous avions investi un nouveau site, immense, le domaine de Grammont.

Cet espace, un vaste champ légèrement en pente, avait déjà accueilli des énormes concerts des Rolling Stones ou de Genesis, mais pas de soirée électronique.

Le public nous avait suivis, venant de toute la France. Il y avait 25 000 personnes et nous avions même accueilli Jack Lang ! »

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8 Août 1998

« Au-delà de notre amour commun pour la musique électronique, la force des Pingouins était la diversité de nos personnalités et le soin que nous apportions chacun aux fêtes que nous organisions », analyse Bruno Catala.

« Certains s’occupaient de la programmation, d’autres de la technique, du off, de la décoration ou des animations. » Cette année-là, le line–up était dingue avec Plastikman, Photek, Laurent Garnier, Grooverider, Sven Väth, François K, Jeff Mills, Kerri Chandler, Green Velvet… Avec dans le off, en ville, un rare live de Stardust.

Dans la plaine de Grammont, une image forte de la nuit a été la traversée de la foule par un immense bateau de la compagnie de théâtre de rue Malabar. Nous travaillions aussi avec le collectif Les Nuits Blanches qui avait des danseurs, des échassiers.

Pour la déco, nous faisions des installations grandioses, d’immenses tentures, des pingouins en polystyrène de trois mètres de haut. On payait alors des sommes folles pour tout cela et le producteur de Boréalis, Bruno Asselin, nous suivait dans notre mégalomanie. Mais tout cela apportait de la magie et de la féérie aux Boréalis, et ces images fortes restent gravées dans la mémoire collective. »

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7 Août 1999

« Boréalis 1999 aurait dû être une apothéose. Ce fut l’apocalypse ! », résume Clément Vaché.

« Au bout d’une décennie, notre bande de copains était arrivée à la fin d’un cycle.

Avec les Boréalis, et les autres soirées et raves que nous avons organisées un peu partout en France, nous avons réalisé un projet artistique incroyable.

Cette annulation a sonné la fin d’une époque et celle d’une belle histoire, celle des Pingouins. »

25 000 à 30 000 personnes étaient en effet attendues pour cette édition 1999. Mais la nuit précédente, un énorme orage s’abat sur la ville.

Le Domaine de Grammont est totalement inondé, impraticable, et les installations électriques baignent dans l’eau.

Le festival est annulé le matin même, la mort dans l’âme. « Si le festival avait eu lieu, cela aurait pu être une catastrophe, surtout que d’autres orages étaient annoncés… » Maigre consolation : les DJ veulent quand même jouer et se retrouvent dans les clubs.

Avec notamment au Rockstore une affiche incroyable qui réunit Roni Size, Kruder & Dorfmeister et Thievery Corporation. Mais le sort s’acharne encore : nouveaux orages, coupures de courant dans plusieurs clubs, et Laurent Garnier, qui veut jouer, n’a pas ses disques, perdus par une compagnie aérienne…

Olivier Pernot

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